Interview avec Driss Ait Lhou : “Le problème de Marrakech est le tourisme de masse”

Driss Ait Lhou est convaincu de la nécessité de se positionner contre la déviation de l’Histoire sociale de toute une génération, celle de la médina de Marrakech.


- Dans votre ouvrage intitulé « Sociologie de l’imaginaire du tourisme - Le mythe touristique à Marrakech », vous analysez les regards et perceptions socio-anthropologiques d’une réalité (la médina de Marrakech). D’abord, pourquoi avez-vous opté pour la médina de Marrakech comme territoire d’enquête socio-anthropologique ?

- Effectivement, cet ouvrage est une analyse des regards et des perceptions socio-anthropologiques d’une réalité vécue et pratiquée au quotidien. Les perceptions dont on parle et les regards que nous avons avancés sont liés d’une manière directe ou indirecte à l’imaginaire local et à l’imaginaire des acteurs du tourisme, et des habitants de la Médina de Marrakech qui portent des images et des attitudes qui sont les leurs. J’ai choisi la médina de Marrakech pour y démystifier le mythe touristique, puisque c’est une ville mythique où il y a une donne socio-touristique, qui est quelque part originale.


- Comment vous êtes-vous organisé, notamment d’un point de vue méthodologique, pour aboutir à cet ouvrage ?

- A Marrakech, il y a des centaines d’acteurs de tourisme. Mais je tenais à ce que l’espace que je cible soit restreint. J’ai également tenu à travailler sur la base d’un échantillon représentatif. J’ai donc fait appel à des principes méthodologiques très importants quant à la recherche de terrain, tel que le principe de saturation.

J’ai aussi essayé de faire une réconciliation entre l’approche systémique et analytique. Je suis un adepte de l’approche analytique. Je crois beaucoup à l’analyse réelle, à l’individu et à ses actions beaucoup plus qu’au système. Ma démarche est à la fois systémique et analytique. La priorité est donnée à cette dernière, puisqu’elle se concentre sur l’individu et les éléments et non pas sur les relations entre les éléments. Grâce aux mathématiques quantitatives, aux logiciels et au côtoiement des populations durant de nombreuses années, j’ai pu comprendre plusieurs choses.


- L’offre touristique mythique dans la médina de Marrakech risque de réduire le touriste à un produit de consommation profane, avec sa part de nuisance au secteur du tourisme, dites-vous. Dénoncez-vous ainsi les méfaits de l’industrie touristique ? 

- Je tiens à vous rappeler une hypothèse sur laquelle j’ai travaillé : le voyage occupe une place privilégiée dans le marché symbolique du voyage et du mythe explicité par des récits de voyage et par l’imaginaire. Mais le problème qui se pose au niveau de Marrakech est qu’il y a ce qu’on appelle le tourisme de masse. Je pense aussi que quand le tourisme est pris dans un niveau plus bas que celui du voyage, à travers un certain jeu de satisfaction des fantasmes et de la consommation, il est réduit à un produit de consommation.

Concernant les méfaits de l’industrie touristique, il faut savoir une chose importante. Le 21ème siècle est celui de l’innovation par excellence, dans le sens où cette innovation est liée à l’espace non seulement dans ses dimensions géographiques et symboliques, mais aussi de territoire et à la territorialité. C’est-àdire aux dimensions politiques et culturelles, aux images véhiculées par les institutions, dont celles qui s’occupent du secteur touristique.
 
Personne ne peut nier qu’il y a du lobbying dans l’industrie touristique à Marrakech.

Parmi les raisons de l’édition de cet ouvrage : ma conviction intellectuelle de me positionner contre la déviation de l’Histoire sociale de toute une génération, celle de la médina de Marrakech. Cette déviation est causée par l’activité touristique. Personne ne peut nier qu’il y a du lobbying dans l’industrie touristique à Marrakech. Il suffit de jeter un coup d’oeil aux hôtels et chaînes hôtelières internationales et sur la pratique ellemême, qui n’est pas liée uniquement à l’industrie touristique, mais aussi à l’industrie des loisirs.


- Vous affirmez dans la présentation de l’ouvrage que « les lobbyings de l’industrie touristique, dans le monde, et dans les pays dits sous-développés, le Maroc et Marrakech en sont le bon exemple, font en sorte pour que les investissements de capitaux prospèrent. La morale est le dernier de leurs soucis, l’éthique est ici même une dimension absente ». Qu’est ce qui vous a poussé à cette conclusion ?

- Effectivement, il y a du lobbying de l’industrie touristique à Marrakech et dans le monde en général. Il y a aussi un problème quand on parle des investissements de capitaux. Lorsque ceux-ci prospèrent de manière trop exagérée, cela laisse poser des questions. Si je reviens à mon ouvrage, notamment quand je parle de la morale, il faut d’abord insister sur le fait que le passage par l’imaginaire passe aussi par des réponses opérationnelles dans la mise en place de toute une politique touristique et de communication socio-touristique au Maroc.


- A quel point la pandémie at- elle changé notre rapport aux vacances ?

- Pour parler des vacances, il est intéressant d’évoquer les notions de voyage, de tourisme et de pèlerinage. Les quatre concepts ou notions se rencontrent dans le déplacement. Ainsi, l’Homme se déplace dans la vie comme s’il menait un combat incessant avec soi et avec son environnement. Nous avons vécu au cours de l’année dernière et de cette année la crise touristique, comme partout dans le monde. Pourquoi y a-t-il une sorte d’échec de cette industrie touristique face à cette pandémie ?

A mon sens, c’est parce qu’il y a quelque chose qui ne va pas au niveau de la communication sociale entre des habitants accueillants et des visiteurs. Il y a un certain déséquilibre entre le passage d’un espace à un autre. L’activité touristique est une activité qui doit être noble certes, mais devrait avoir des assises d’abord éthiques, morales, où il n’y a pas d’exploitation, de domination ou d’acculturation.


- Le tourisme de proximité pourrait-il ensuite s’ancrer dans les habitudes des Marocains ?

- La proximité est une valeur post-moderniste, liée à la gouvernance, à la territorialité, au management territorial vu du bas vers le haut et non pas le contraire. C’est une valeur que les Marocains commencent à intérioriser et à faire ancrer dans leurs habitudes, perceptions et conceptions. Mais à condition de répondre à l’esprit de la Constitution de 2011 et à l’esprit du Nouveau Modèle de Développement (NMD). Quand on parle de proximité, on parle également des institutions touristiques de proximité dans la décision territoriale. La proximité ne peut être concrétisée et territorialisée que si le tourisme est pris en charge par les régions.

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